Le mot de l’évêque

« Il vit et il crut » (Jean 20,8)

Depuis des siècles, notre cathédrale a abrité « la Sainte Coiffe », un linge vénéré comme le suaire de la tête du Christ. Celui-ci, selon l’Évangile, est vu par Pierre et Jean au tombeau vide (cf. Jn 20,7).

Objets et lieux mémoriels

La tradition de la vénération des reliques, avant l’époque moderne, ne s’est pas appuyée sur une forme scientifique de la vérité. Aujourd’hui, la raison scientifique est une des expressions les plus puissantes de notre quête de vérité. Aussi, l’historicité de la « Coiffe de Cahors », linge très ancien, fait-elle l’objet de nombreux débats.

Des études scientifiques pourront être faites et nous aider à mieux connaître cette relique, à éviter des propos ambigus qui mettent mal à l’aise notre intelligence rationnelle. Mais La vénération des reliques, pas plus aujourd’hui qu’au Moyen-âge ne part d’un besoin de rationalité. Cette dévotion naît plutôt d’un besoin de mémoire : il faut des supports palpables pour se souvenir.

L’histoire antique, d’ailleurs, a transmis davantage des mausolées, des lieux de culte, des stèles, des instruments de mémoire que les originaux matériels que nous aimerions trouver, selon nos critères modernes. Le tombeau de Jésus à Jérusalem n’est pas matériellement le tombeau de Jésus. Pourtant, la reconstitution que nous visitons en allant au Saint-Sépulcre nous permet de réaliser que c’est bien là que Jésus a été enseveli et qu’il ne s’y trouve plus car il est vivant pour toujours. Ainsi, dans ce lieu du Saint-Sépulcre, nos sens, notre affectivité plus encore que notre raison se trouvent touchés, impressionnés et mis en contact avec le mystère de sa Résurrection. C’est une expérience analogue que nous pouvons attendre de la présence à Cahors de cette Sainte-Coiffe.

Nous constatons aujourd’hui, à l’heure du virtuel et de l’omniprésence de l’audio-visuel, un besoin croissant de percevoir des objets directement avec nos sens et non seulement sur des écrans, même « tactiles ». La multiplication des « vides-greniers » dont la fréquentation remplace souvent la pratique religieuse dominicale en est un indice fort : n’est-ce pas significatif d’une quête d’objets mémoriels ? Or nous constatons également dans l’Église que de plus en plus de personnes, souvent jeunes, sont attirées par les reliques. Ces personnes ne sont pas naïves. Elles savent bien que l’authenticité d’un linge supposé exister depuis bientôt 2000 ans est relative et impossible à prouver. Elles ne cherchent pas des preuves mais des signes et des objets qui aident à se souvenir, comme on reste attaché au vase ou au bracelet de sa grand-mère.

Le réalisme de la mort et de la résurrection

Ce qui compte avec la Sainte-Coiffe, c’est d’ouvrir nos coeurs au mystère de la Résurrection de Jésus : il n’a pas fait semblant de mourir et a été enseveli (comme le rappelle le Credo). Il est ressuscité et sa résurrection a concerné son corps qui n’a pas connu le pourrissement. Les évangiles nous en donnent des indices. Cette tradition ancienne de vénération de différents linges de la passion, de la mort et du tombeau vide, nous en donne quelques autres. Cela nous encourage à espérer davantage la résurrection promise de notre chair renouvelée par l’Esprit Saint.

Ceux qui, avant nous ont cru en la Résurrection du Seigneur et vénéré cette relique ont laissé leur sensibilité s’imprégner de ce même mystère auquel nous sommes invités à croire, non à travers des raisonnements ni des preuves qui n’existeront pas, mais en faisant appel à notre besoin de mémoire et d’émotion sensible. Ce sont deux choses différentes que de savoir intellectuellement que Pierre et Jean ont vu les linges au tombeau vide et de voir ou même toucher le linge de la tête ou ce qui peut en rester.

Il semble en effet qu’au cours des siècles, plusieurs couches de tissus identiques et très fins ont été rajoutées au fur et à mesure sur la coiffe qui s’usait à chaque contact : le geste de vénération habituel aurait consisté à déposer la coiffe sur la tête des pèlerins et des fidèles, l’un après l’autre. Le tissu vénéré aujourd’hui est un témoin de la foi transmise de génération en génération de croyants. Sa distance probable d’avec l’objet matériel ayant recouvert la tête de Jésus n’a jamais diminué la dévotion à la Sainte-Coiffe. Une relique est toujours un moyen et jamais une fin. Ce sont les grâces obtenues dans cette vénération qui ont toujours stimulé la dévotion.

La vénération contre la culture du déchet

Dans le vocabulaire religieux chrétien, il existe des différences importantes entre vénérer, adorer, contempler… Pour les reliques on parle de vénération, ce qui signifie étymologiquement « respect ». La vénération des saints ou des reliques découle de leur lien avec la personne du Christ qui les habite de sa grâce. La vénération suppose un acte de foi : je reconnais dans cet objet ou ce saint, un témoignage de l’action gratuite de Dieu. La vénération se distingue de l’adoration, due à Dieu seul. Par ailleurs, la contemplation devient un acte religieux seulement si l’on reconnaît la présence de Dieu ou l’origine divine en l’objet contemplé.

Vénérer est un exercice spirituel qui nous aidera à surmonter la tentation actuelle de jeter tout ce qui n’est pas au dernier cri, de saccager l’environnement et, pire, de rejeter les personnes. Le pape François nous alerte régulièrement sur les effets désastreux de notre « culture du déchet ». Vénérer un linge qui rappelle le culte mortuaire du corps du Christ nous oblige à respecter le Corps du Christ dans son ensemble, c’est-à-dire tous ceux pour qui Il a donné sa vie. C’est un motif puissant de respecter toute créature, tout objet, tout être vivant et toute personne. Vénérer la Sainte-Coiffe peut ainsi guérir notre tendance à rejeter l’enfant à naître qui dérange, le migrant, l’improductif, le conjoint encombrant, la personne handicapée, malade ou en fin de vie.

La vénération de la Sainte-Coiffe s’appuie sur la foi en l’Incarnation. En prenant chair de notre chair, le Verbe divin a consacré l’importance de toute créature qu’il a réconciliée en Lui, Jésus-Christ, premier-né d’entre les morts et Il a fait la paix par le sang de sa Croix, la paix pour tous les êtres sur la terre et dans le ciel (cf. Col 1,18-20).

Retour de la Sainte-Coiffe dans la cathédrale de Cahors

En cette année où nous célébrons le 900e anniversaire de la cathédrale Saint-Etienne de Cahors, dans la continuité du vœu qu’en avait exprimé mon prédécesseur Mgr Norbert Turini, j’ai souhaité, avec l’aide des services de l’État et du patrimoine qui auront rénové l’abside qui lui est dédiée, remettre dans la cathédrale cette relique autrefois célèbre mais un peu oubliée. Je compte sur l’Esprit Saint pour orienter notre regard et celui du public vers une dévotion juste, pour qu’à travers ce signe légué par les chrétiens du passé, nos cœurs fixent toute leur attention sur Jésus qui a livré son corps à la mort pour nous offrir sa Vie éternelle. Devant les linges posés au fond du tombeau vide, l’Apôtre Jean « vit et il crut ». Croire ne dépend pas d’une preuve mais d’un élan du cœur, libre et porté par la grâce de Dieu. Nos cœurs trop lents à croire ont souvent besoin d’être remis sur le chemin pour ne pas désespérer et retrouver le goût de répandre sans cesse l’amour du Christ.

Mgr Laurent Camiade, évêque de Cahors (janvier 2019)